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En Creuse, cette habitante demande une étude épidémiologique dans son village où un foyer sur deux vit avec un cancer

Publié il y a 2 semaines

Illustration
Photos : Bruno Barlier

Dans ce petit village de Guéret, un tiers des habitants sont décédés ou souffrent de cancers. Troublée par cette prévalence, une habitante de Corbigny souhaite qu'une étude épidémiologique approfondie soit menée sur place.

Il y a dix ans, son mari meurt à 47 ans d’un cancer, un myélome multiple. Depuis, cette habitante de Corbigny, qui s’est installée en 1989, se pose des questions et cherche des réponses. Car il n’est pas le seul à avoir succombé à la maladie ces dix dernières années. Et la chose semble s’accélérer.

« Là, cette maison. Ma voisine est décédée il n’y a pas longtemps d’un cancer du sein à 57 ans. La grande maison ici, cancer du poumon. Celle-ci, cancer du pancréas. Là, un autre cancer. Ici, un cancer des voies ORL. Derrière ces maisons, il y en a une autre, un cancer de la prostate… » Un tour de quartier glaçant…

Un tiers des habitants sont touchés

Au total, on recense douze cas de cancers dont six décès sur les vingt-trois foyers que compte Corbigny, pour une quarantaine d’habitants. « Quasiment une maison sur deux est touchée ». Des cancers disparates, dont elle prend connaissance au fur et à mesure de discussions fortuites avec ses voisins.

« Je m’étais dit depuis un moment que ça me paraissait bizarre qu’il y ait autant de cancers. »

Cette habitante, qui ne se revendique pas lanceuse d’alerte, souhaite juste comprendre. Elle a réfléchi à tout. À ce à quoi son mari avait pu être exposé, dans le cadre de son activité professionnelle de dessinateur industriel. « Il a travaillé chez Dagard, chez A2C. Quand il était jeune, il a fait des remplacements en chaudronnerie pour l’été, sur une durée très limitée. Après, il était toujours sur sa planche à dessin… ».

À ce à quoi les autres pouvaient être exposés. « Je ne connais pas les habitudes de vie des gens, ce qu’ils ont mangé, ce qu’ils ont fumé, leurs problèmes de santé inhérents. Tout ce que je peux dire, c’est que le père de mes enfants ne buvait pas, ne fumait pas, qu’on mangeait bio. Il y a peut-être des causes intrinsèques, on a tous des fragilités… »

Elle ne peut pas s’empêcher de penser aussi à ce village, « à quelque chose dans l’environnement où l’on vit à Corbigny à laquelle on est exposé. C’est peut-être une multitude de facteurs qui se conjuguent à cet endroit. C’est ce qui inquiète beaucoup mes enfants, surtout ma fille… »

Des causes environnementales ?

Elle repère un faisceau de pollutions environnementales potentielles. Corbigny est ainsi traversé par une ligne à haute tension, un déversoir d’orage pollué et longé par la RN145. Un combo présumé d’ondes électromagnétiques, d’eau contaminée et de particules fines. « Il n’y a jamais eu d’études sur le rayonnement de cette ligne, qui passe juste au-dessus de ma maison », explique la quinquagénaire.

Pourtant, des études considèrent que les champs magnétiques d’extrêmes basses fréquences émis par les installations de transport d’électricité sont possiblement cancérogènes, ainsi que les classe le Centre international de recherche contre le cancer (Circ) de l’OMS.

En longeant le déversoir d’orage qui traverse le village et de nombreux terrains, elle évoque également son doute sur la possible nocuité de l’eau qui coule ou stagne ici. Cet ancien ruisseau écluse désormais le surplus d’eaux pluviales qui débordent du réseau unitaire des quartiers de Jouhet et du Petit Bénéfice en cas d’orage. « C’est-à-dire que les eaux pluviales et le tout-à-l’égout vont dans la même conduite et quand il y a un orage, tout déborde et se précipite ici. Serviettes périodiques, lingettes, médicaments, tout passe là, stagne. En période d’étiage, il y a une espèce de bouillasse qui se décompose, ça sent extrêmement mauvais », raconte-t-elle.

Le dégrilleur installé il y a deux ans, n’y fait pas grand-chose. Elle s’est rapprochée de l’OFB et de la Com d’Agglo, qui détient la compétente pour demander que les pollutions charriées par le déversoir soient mieux canalisées (lire ci-dessous), de la mairie également pour que les berges, qui agglomèrent serviettes périodiques ou lingettes, soient nettoyées régulièrement.

Pollution
Geoffrey Mousnier, responsable des régies eau et assainissement de la Com d’Agglo, revient sur ce problème de pollution du déversoir d’orage qui traverse Corbigny. La pollution qu’il charrie vient selon lui davantage des détritus de la voie publique et des « nombreuses incivilités » qui peuvent avoir lieu dans cette zone de passage que du trop-plein du réseau unitaire des quartiers de Jouhet et du Petit Bénéfice. « Ce réseau récupère les eaux usées bien évidemment et une partie des eaux de pluie. Il est en mesure de le faire mais une fois qu’il est chargé, l’eau de pluie, très diluée, passe par ce déversoir d’orage où on a installé un dégrilleur automatique pour retenir les déchets ». Il pointe que « ces déversoirs d’orage sont conformes, déclarés et tout à fait réglementaires » et font partie « des surveillances du réseau et de la station d’épuration de Guéret ». Il n’est en tout cas pas prévu de modifier ce réseau unitaire en réseau séparatif.

Solution ?
Pour en augmenter l’efficience, l’Agglo envisage d’« installer un second filet en aval du premier », investissement validé mais qui nécessite un délai, administratif d’abord, « on a dû faire une déclaration de travaux en août à la DDT et nous n’avons toujours pas de réponse », et pour les travaux dans le cours d’eau d’autre part. « Ça a pris un peu de temps parce qu’il y a pas mal de choses à prendre en compte sur cette partie mais dès qu’on a l’autorisation de travaux, on pourra programmer l’intervention », sans doute au premier trimestre 2026, détaille Geoffrey Mousnier.

La Guérétoise pointe enfin les particules fines en provenance de la RN145, toute proche. « Les vents nous arrivent de l’ouest donc les pollutions du trafic de la quatre voies arrivent directement sur le village, mais pas que. » Le Circ classe également la pollution de l’air extérieur dont les gaz d’échappement en cancérogène certain, associées notamment à une augmentation du risque de cancer du poumon.

À la retraite depuis avril, cette habitante de Corbigny a multiplié les demandes, notamment auprès de l’ARS et de la préfecture, pour obtenir une « étude approfondie ».

« Qu’on trouve s’il y a une cause environnementale, sanitaire, effectivement, ou si c’est le malheureux hasard qui fait qu’il y a autant de cancers dans ce village. »

L’ARS (lire ci-dessous) lui a donné une fin de non-recevoir. « On me dit qu’on ne peut pas lancer d’étude parce que ce sont des cancers variés. Sauf que ça n’a pas de sens sur le plan épidémiologique », se désespère-t-elle.

« Je ne veux incriminer personne, je veux juste comprendre s’il y a un problème et que si des choses ne vont pas, on les mette en règle. J’ai des enfants, qui vont peut-être habiter cette maison plus tard, mes voisins aussi, il y a des actifs, des retraités, des enfants qui vivent ici, de nouveaux habitants… Je ne suis pas militante, je veux juste ne plus être inquiète de vivre dans un endroit potentiellement dangereux pour ma santé ou celle de mes voisins. »

Dans un retour de mail que cette habitante de Corbigny a reçu de l’ARS en octobre, cette dernière estime qu’« après de nouveaux échanges entre les médecins de l’ARS Nouvelle-Aquitaine et Santé publique France, il ressort que la diversité des localisations des cancers ne permet pas de valider ce signalement comme un agrégat spatiotemporel. Par conséquent, et au regard des avis d’experts formulés, et de l’absence de signaux sanitaires et environ-nementaux sur cette zone, il n’est pas envisageable de mener une étude épidémiologique spécifique sur ce territoire ».

La préfecture de la Creuse se conforme à l’avis de l’ARS et lui a envoyé la même réponse, ajoutant que « le regard des invités experts sur les cancers peut avoir des causes multifac-torielles. Les facteurs environnementaux qui peuvent jouer un rôle seraient plutôt en faveur de la survenue du même type de cancer. Aussi, les investigations locales sur un faible nombre de cas ne permettent pas d’identifier le lien avec une exposition environnementale ».

La maire de Guéret, Marie-Françoise Fournier, a également été alertée et « en échangera directement » avec la préfète « lors de sa prochaine entrevue prévue en décembre ».

Auteur : Texte : Julie Ho Hoa julie.hohoa@centrefrance.com
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